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Violence et Injustice : Traiter les symptômes ou les causes ?

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Dans L’Utopie, Thomas More dénonce un système judiciaire aveugle et punitif qui s’attaque aux conséquences plutôt qu’aux causes des crimes. Il critique une société qui, au lieu de remédier aux injustices structurelles, se contente de réprimer les comportements qu’elles engendrent. Cette observation, bien que datant du XVIe siècle, résonne avec une actualité brûlante, notamment en Nouvelle-Calédonie.

Le 13 mai dernier, les violences urbaines, marquées par des incendies et des confrontations entre la population et les forces de l’ordre, ont conduit à une réponse étatique strictement répressive. Les arrestations et les peines infligées aux responsables n’ont été accompagnées d’aucune réflexion systémique sur les origines de ces actes de désespoir. Cette réponse punitive perpétue un schéma bien connu : on sanctionne, mais on ne soigne pas. Or, les causes profondes de ces violences – pauvreté, exclusion sociale, sentiment d’injustice, manque de perspectives pour la jeunesse – restent intactes et, pire encore, s’aggravent.

Thomas More (1478-1535) était un juriste, philosophe, humaniste et homme d’État anglais. Né le 7 février 1478 à Londres, il est surtout connu pour son œuvre “Utopia” (1516), où il décrit une société idéale sur une île fictive, critiquant les structures sociales et politiques de son époque.


More écrivait :

« Que faites-vous d’autre […] que de fabriquer vous-mêmes les voleurs que vous pendez ensuite ? »

Cette question pourrait s’appliquer à la situation calédonienne. Quels outils donnons-nous aux jeunes pour s’épanouir dans une société marquée par les inégalités économiques et culturelles ? Dans quelle mesure les fractures sociales entre les différentes communautés sont-elles atténuées par des politiques publiques inclusives ? La réponse est sans appel : nous avons laissé les inégalités se creuser, et nous punissons aujourd’hui les symptômes de ce que nous avons nous-mêmes cultivé.

En Nouvelle-Calédonie, les inégalités de revenus et la pauvreté varient significativement selon les territoires. Selon l’Institut de la statistique et des études économiques (ISEE), en 2020, un Calédonien sur cinq était en situation de pauvreté monétaire. Le niveau de vie médian des habitants de la province Sud était le double de celui des résidents des îles Loyauté. Des disparités notables existent également entre les communes, avec une différence marquée entre l’ouest et l’est de la Grande Terre. La mixité sociale, évaluée par la diversité des niveaux de revenus, est plus présente à l’ouest et dans l’extrême sud, tandis que la pauvreté est plus prononcée dans le reste du territoire.

Répression disproportionnée et fractures sociales

La critique de More sur la disproportion entre les actes et les peines – condamner un vol à mort, sans considérer le contexte de désespoir – s’applique également à la Nouvelle-Calédonie. Les jeunes des quartiers défavorisés, qui expriment leur colère par des actes violents, ne naissent pas violents. Ils sont les produits d’un système qui les marginalise, leur refuse des opportunités et ne valorise ni leur culture ni leur identité. Pourtant, la réponse institutionnelle se limite souvent à la répression : arrestations, condamnations rapides et médiatisation des sanctions comme un symbole d’autorité retrouvée.

Mais qu’advient-il après ? Une fois les sanctions appliquées, ces jeunes reviennent dans un contexte qui n’a pas changé. Leur colère est réprimée, mais leur désespoir reste entier, nourri par un système qui ne leur offre ni perspectives, ni justice.

Comprendre pour reconstruire

Thomas More offre une alternative claire : s’attaquer aux causes profondes de l’injustice. Dans L’Utopie, il propose de « décréter que ceux qui ont ruiné des fermes ou des villages les rebâtissent ». En Nouvelle-Calédonie, cela pourrait se traduire par des mesures concrètes pour réduire les inégalités sociales et économiques.

1. Investir dans l’éducation et la formation professionnelle

Investir dans l’éducation et la formation professionnelle est essentiel pour stimuler la croissance économique, renforcer la cohésion sociale et offrir aux individus des opportunités d’épanouissement personnel. Mais au-delà de ces dimensions pratiques, il est nécessaire d’intégrer une dimension culturelle dans ces efforts pour que les enfants et les jeunes trouvent un véritable sens à leur apprentissage. En valorisant les savoirs locaux, les traditions et les langues des différentes communautés, l’éducation devient un vecteur de reconnaissance identitaire et de respect mutuel.

Une formation professionnelle adaptée peut également inclure des métiers ancrés dans la culture et les spécificités locales, comme l’artisanat, l’agriculture durable ou les pratiques artistiques traditionnelles. Cela permet non seulement de transmettre un savoir-faire, mais aussi de renforcer le sentiment d’appartenance des jeunes à leur territoire et leur culture. Un tel système éducatif, riche en diversité et en sens, offrirait une véritable clé pour motiver les générations futures, les rendre fières de leurs racines et les préparer à contribuer activement au développement de leur société.

2. Réduire les inégalités territoriales

La ghettoïsation urbaine, où des populations sont confinées dans des quartiers précaires, reflète un grave déséquilibre dans la répartition des ressources et dans l’aménagement des territoires. Ces zones souffrent d’un manque d’infrastructures, de services publics, et d’opportunités économiques, perpétuant la pauvreté et le sentiment d’exclusion. Parallèlement, les zones rurales restent marginalisées, souvent oubliées des politiques publiques, aggravant les fractures sociales. Investir dans les infrastructures locales, revitaliser les quartiers défavorisés, et créer des pôles économiques décentralisés permettraient de briser ce cycle et de garantir une société plus équitable.

3. Encourager la réconciliation culturelle

Les tensions sociales en Nouvelle-Calédonie ne peuvent être apaisées sans une démarche de justice transitionnelle visant à reconnaître et valoriser les peuples autochtones et leurs droits. Cela implique de réparer les injustices historiques par des mesures concrètes, telles que la restitution des terres, l’inclusion des cultures kanak dans les institutions, et la promotion d’un dialogue équitable entre les communautés.

La justice transitionnelle désigne l’ensemble des mesures judiciaires et non judiciaires mises en place par des sociétés pour faire face aux violations massives des droits de l’homme lors de périodes de conflit ou de régimes autoritaires. Elle vise à reconnaître les souffrances des victimes, établir la vérité sur les abus commis, poursuivre les responsables, offrir des réparations et réformer les institutions pour prévenir de futures violations. Les mécanismes de la justice transitionnelle incluent les poursuites pénales, les commissions vérité, les programmes de réparation et les réformes institutionnelles. Cette approche cherche à promouvoir la réconciliation nationale, restaurer la confiance dans les institutions et instaurer un État de droit respectueux des droits humains. (ohchr.org)

4. Créer des opportunités économiques inclusives

Pour réduire les tensions sociales et économiques en Nouvelle-Calédonie, il est essentiel de créer des opportunités économiques inclusives qui permettent à toutes les communautés de participer activement au développement du territoire. Cela passe par l’ouverture de la concurrence, la suppression des monopoles et la diversification des activités économiques afin de rompre avec la dépendance aux aides financières françaises et à l’exploitation du nickel, seule ressource dominante.

Le développement d’industries durables et soutenables est une priorité pour répondre à ces enjeux. Des projets collectifs dans des secteurs comme l’agriculture, l’écotourisme ou l’artisanat pourraient non seulement valoriser les richesses locales, mais également offrir des emplois accessibles à toutes les populations, y compris celles vivant dans des zones marginalisées. Ces initiatives doivent être conçues pour inclure les jeunes, les femmes et les groupes traditionnellement exclus des circuits économiques, leur offrant ainsi des perspectives réelles de formation et d’emploi.

5. Promouvoir la justice restaurative

Plutôt que de simplement punir, impliquer les communautés et les victimes dans un processus de réhabilitation et de réparation. La justice restaurative, également appelée justice réparatrice, est une approche qui vise à réparer les torts causés par une infraction en favorisant le dialogue entre la victime, l’auteur et la communauté. Elle offre un espace confidentiel et volontaire où les parties peuvent exprimer leurs ressentis et attentes, permettant ainsi une compréhension mutuelle et une responsabilisation de l’auteur. Cette démarche, complémentaire à la justice pénale traditionnelle, cherche à restaurer le lien social endommagé par l’infraction et à prévenir la récidive en répondant aux besoins de toutes les personnes concernées.

La nécessité d’un système plus juste

Un système punitif ne crée pas la paix sociale. Il cristallise les tensions et perpétue les cycles de violence. En Nouvelle-Calédonie, cette approche risque de compromettre tout espoir de construction d’une société apaisée. Il est urgent de revoir les priorités, non pas pour excuser ni justifier les actes répréhensibles, mais pour comprendre et traiter leurs racines.

Si les actes de violence sont inacceptables, ils trouvent souvent leur origine dans des causes tout aussi inacceptables, qui méritent d’être comprises et traitées avec autant de fermeté.

En écho à la pensée de Thomas More, la Nouvelle-Calédonie doit cesser d’« instruire à devenir voleurs ceux qu’elle punit ensuite ». Plutôt que de criminaliser la détresse, elle pourrait devenir un modèle d’inclusion, en investissant dans des solutions structurelles qui traitent les causes profondes de l’injustice. Car ce n’est qu’en éradiquant ces causes que l’on pourra espérer briser le cycle des frustrations et construire un avenir commun fondé sur la justice sociale.

Construire un système juste, c’est offrir un avenir à une jeunesse désabusée. Ce n’est qu’à ce prix que l’on pourra, enfin, rompre avec les divisions et travailler à une véritable réconciliation.

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