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Étudiants confrontés à des contraintes de logement injustes

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En pleine période d’examens, les étudiants calédoniens se retrouvent sous pression, confrontés à des pratiques inquiétantes de la SIC. Des dates de départ imposées, avant même la fin de l’année académique, et sans aucune possibilité de négociation… Derrière les portes de leurs résidences, des clauses de bail restrictives limitent leurs droits : visites strictement surveillées par caméra de surveillance, hébergement encadré, voire intrusions sans préavis. Contrairement à la France, aucune protection juridique locale ne vient encadrer ces pratiques. Les étudiants sont alors plongés dans un véritable vide juridique, exposés à des règles qui menacent leur tranquillité, leur vie privée… et leur droit à étudier sereinement.

Temps de lecture : 15 min

Résidence étudiante Yvon Cavaloc Dumbéa Centre (image : Maison de l'Etudiant NC)

I. Délais imposés et violation de domicile autorisée par le contrat de bail

Société Immobilière de Nouvelle-Calédonie (SIC)

La SIC est le premier bailleur de Nouvelle-Calédonie, avec un patrimoine de plus de 11 000 logements, et loge plus de 15% de la population calédonienne. Elle gère un parc immobilier diversifié, comprenant des logements sociaux et intermédiaires, et construit chaque année environ 300 logements supplémentaires.

Maison de l’Etudiant de la Nouvelle-Calédonie

[Le] groupement d’intérêt public dénommé « Maison de l’étudiant de la Nouvelle-Calédonie » ci-après désigné le GIP ou le groupement. []

Le GIP « Maison de l’étudiant de la Nouvelle-Calédonie » a pour objet de rechercher, proposer et promouvoir toutes mesures susceptibles de contribuer à l’amélioration des conditions de vie et de travail de l’étudiant poursuivant un cursus d’enseignement supérieur en Nouvelle-Calédonie [].

Le GIP est constitué entre :

  • la Nouvelle-Calédonie, représentée par le président du gouvernement ou son représentant ;
  • l’Etat, représenté par le haut-commissaire de la NouvelleCalédonie ou son représentant ;
  • le vice-rectorat de la Nouvelle-Calédonie, représenté par le vice-recteur de la Nouvelle-Calédonie ou son représentant ;
  • l’université de Nouvelle-Calédonie (UNC), représentée par
    le président de l’UNC ou son représentant ;
  • la Société Immobilière de la Nouvelle-Calédonie – SIC, représentée par son directeur général ou son représentant.

Source : juridoc.gouv.nc [8] – Délibération n° 188 du 9
janvier 2012

En effet, les étudiants calédoniens subissent une série de pratiques abusives liées à leur logement universitaire. La SIC impose des dates de départ avant la fin du cursus académique, sans possibilité de négociation, contraignant les étudiants à quitter leur logement en pleine période d’examens. Ce type de gestion laisse peu de place à la préparation et à la concentration nécessaires pendant les examens.

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Ci-joint la capture d’écran d’un mail fixant une date de sortie du logement sans concertation avec l’étudiant, qui a cours à l’heure imposée :

Mail fixant la date de sortie envoyé par un agent de la SIC
Emploi du temps de l'étudiant concerné à l'UNC

Ces dysfonctionnements ne concernent pas seulement quelques cas isolés, mais une réalité qui touche un grand nombre d’étudiants. En 2024, selon NC La 1ère [6], 1000 demandes pour 700 places, une situation qui semble justifier, dans l’esprit des gestionnaires de ces logements, l’application de clauses abusives pour réguler l’accès à ces lieux, au détriment des étudiants.

Mais ce qui est encore plus préoccupant, c’est que des clauses contractuelles autorisant l’intrusion du bailleur dans le logement de l’étudiant sans sa présence sont une violation flagrante du droit à la tranquillité et à la vie privée. Cela montre une forme de contrôle excessif qui ne devrait pas avoir sa place.

Pourtant, en Nouvelle-Calédonie, comme en France, le locataire bénéficie d’un droit fondamental à la jouissance paisible de son logement. Cela signifie que le bailleur ou propriétaire ni quiconque ne devrait pouvoir pénétrer dans le logement loué sans l’autorisation explicite du locataire, même s’il détient un double des clés. Une telle intrusion, sans consentement, devrait constituer une violation de domicile.

Dans un pays qui protège les droits des citoyens, le propriétaire n’a pas le droit de venir vérifier l’entretien du logement ou d’organiser une visite sans avoir obtenu l’accord préalable du locataire. Les visites ou contrôles doivent donc être convenus à l’avance et se faire dans des créneaux raisonnables, en respectant la vie privée du locataire. [11]

Ci-joint un extrait du contrat de bail de location étudiant 2024 :

Article 4 du contrat de bail étudiant SIC 2024

Selon l’article 226-4 du Code pénal, applicable à la Nouvelle-Calédonie [5],

L’introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni d’1 an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende“. 

Il est à noter que :

[10]


Dalloz.fr

« Les tribunaux invoquent régulièrement le droit au respect de la vie privée pour sanctionner les atteintes au domicile des locataires, souvent par le bailleur. Par exemple, il a été jugé que ce droit s’étend à l’aménagement intérieur du logement. Ainsi, des photos de l’intérieur prises par des ouvriers et utilisées par le bailleur pour prouver le désordre des lieux sont jugées illicites (Civ. 1re, 7 nov. 2006 […]). Plus généralement, une visite effectuée par le bailleur sans avertir le locataire constitue une atteinte à la vie privée ouvrant droit à réparation (Civ. 3e, 25 févr. 2004 […]). »

— “Domicile, demeure et logement familial – Caractères du domicile” Répertoire de droit civil Dalloz – par Yvaine BUFFELAN-LANORE – Juin 2014 (actualisation : Septembre 2023)

II. Dispositions législatives nationales en vigueur concernant les clauses abusives [1]

Code civil Dalloz article 1171

Code de la consommation français (article L212-1)

III. Une pression administrative injustifiée sur les étudiants

Les étudiants sont régulièrement confrontés à des pratiques qui perturbent gravement leur quotidien, surtout en période d’examens. Non seulement ils sont contraints de quitter leur logement avant la fin de l’année universitaire, mais la SIC impose des dates d’état des lieux sans tenir compte de leur calendrier académique.

Par exemple, un étudiant, qui avait prévu un état des lieux le 27 novembre 2024 (le même jour qu’un examen important), a été informé le 11 novembre 2024 par un SMS un jour férié, d’une date fixée au 13 novembre, ne lui laissant que deux jours pour vider son logement.

Cela laisse sous-entendre un problème de communication conséquent, et une impossibilité d’anticiper un éventuel changement de date, car les bureaux sont fermés en ce jour d’Armistice.

Des mails restés sans réponse

Une autre frustration majeure est l’absence de réponse aux mails envoyés. Après avoir reçu une deuxième proposition de rendez-vous pour l’état des lieux de sortie, fixé le 27 novembre, l’étudiant a informé la SIC de son impossibilité à respecter cette date imposée, en raison d’un examen prévu le même jour et d’une fin de cursus universitaire prévue le 29 novembre 2024 (il suffisait d’ajouter deux ou trois jours !).

Malgré plusieurs relances, aucun retour n’a été obtenu pour confirmer cette nouvelle date ni pour aborder les préoccupations soulevées. À chaque contact, la SIC est restée inflexible, sans prendre en compte le calendrier universitaire officiel fixé par l’UNC, qui fait pourtant partie du GIP tout comme la SIC (un manque de communication au sein de la Maison de l’Etudiant ?). Cette situation laisse à penser que l’objectif pourrait être de facturer aux étudiants non pas sur la base de l’aide au logement attribuée aux boursiers, mais sur le tarif du loyer complet applicable aux non-boursiers, en prolongeant leur séjour de quelques jours.

Par conséquent, ces échanges montrent un manque de respect pour les contraintes académiques des étudiants, ajoutant une pression inutile pendant une période déjà stressante, alors que de nombreux étudiants ont “lâché l’école” depuis la crise du 13 mai.

Ci-joint, des échanges de mail et de sms entre un agent de la SIC et un étudiant


La SIC

Chaque bénéficiaire est tenu par des obligations contractuelles. “Il y a quatre niveaux d’obligation, précise Georges Taraihau, responsable de l’agence Sic de Nouville. D’abord l’assiduité. L’étudiant doit aller en cours. Le deuxième, bien sûr, c’est le résultat. Il doit bien travailler pour pouvoir réussir. Troisième obligation, c’est le comportement et le dernier point, c’est le règlement du loyer, le partie budgétaire que l’étudiant doit maîtriser.”

Un article de ©Franck Vergès / NC La 1ère

IV. Clauses abusives

Fiches d'orientation Dalloz.fr sur la Clause abusive - Juin 2023

Les pratiques de la SIC, telles que l’imposition de départs avant la fin du cursus académique et le droit d’intrusion dans les logements, soulèvent des questions juridiques sérieuses. Les contrats de bail incluent des clauses qui, en théorie, devraient être protégées par la loi contre les abus.

En vertu de l’article 3 du règlement intérieur de la résidence universitaire, le droit d’occupation est personnel et peut être révoqué en cas de non-respect des conditions du bail, comme le défaut de paiement ou la perte de la qualité d’étudiant. Cette règle empêche toute sous-location (ce qui est légal) mais aussi l’hébergement de tiers, créant de fait, une restriction à la liberté des étudiants.

Par ailleurs, l’article 4 sur l’accès aux logements permet aux représentants de la SIC d’entrer dans le logement à tout moment pour “faire appliquer le règlement”, sans préavis et même en l’absence du locataire, ce qui empiète gravement sur le droit à la vie privée.

L’article 15, quant à lui, restreint les visites des étudiants entre 7h et 22h, mais le fait qu’aucun droit d’hébergement ne soit accordé et que le nombre de visiteurs soit limité est une restriction sévère sur la vie privée des étudiants. Ces clauses sont des exemples typiques de clauses abusives [10], qui devraient être interdites en vertu des principes de protection des consommateurs, mais qui ne sont pas appliquées localement.

Ci-joint un extrait du contrat de bail de location étudiant 2024 :

Article 15 contrat de location étudiant SIC 2024

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V. L’absence de protections juridiques locales

Le Code de la consommation français protège contre les déséquilibres significatifs dans les contrats de bail, en interdisant des restrictions excessives concernant les visites ou les droits d’hébergement comme cela est précisé sur les sites officiels [1].

Toutefois, en Nouvelle-Calédonie, ces protections ne s’appliquent pas. Une recherche dans les textes législatifs locaux montre qu’aucune mesure n’a été prise pour protéger les citoyens calédoniens contre les clauses abusives à la Nouvelle-Calédonie [10].

En effet, les pays membres de l’Union européenne sont régis par la directive 93/13/CEE [2] qui oblige les États à protéger les consommateurs contre les clauses abusives. Toutefois, la Nouvelle-Calédonie n’est pas directement soumise à cette directive, car sa transposition dans le droit national (français) n’a pas été étendue explicitement au territoire calédonien (la Nouvelle-Calédonie n’est pas un Etat membre de l’UE mais seulement un territoire associé).

Pourtant, si la Nouvelle-Calédonie était un Etat membre de l’Union européenne, alors elle aurait l’obligation de transposer cette directive, sous peine d’être sanctionnée strictement par les instances juridiques de l’UE. Actuellement, les étudiants calédoniens sont privés de recours face à ces pratiques. L’absence de législation [8] laisse les locataires vulnérables, devant une faille juridique (faille ou volonté ?).

Le manque de protection est souligné par des documents tels que les principes directeurs des Nations Unies pour la protection des consommateurs [3] et les normes ISO [4], qui recommandent des protections renforcées pour garantir un équilibre des relations contractuelles. Malheureusement, ces principes, en plus de n’être pas contraignants (non normatifs, donc ne créent pas de norme obligatoire), restent inappliqués localement.

Une simple recherche sur le site Juridoc.nc [8] montre qu’aucune disposition locale concernant les clauses abusives n’est en vigueur en Nouvelle-Calédonie…

Juridoc est la base de données calédonienne pour les textes juridiques applicables en NC

VI. L’impact sur les étudiants : Témoignages de frustration et de stress

Les étudiants calédoniens témoignent du stress et de la frustration provoqués par les pratiques restrictives imposées dans leurs résidences, des situations qui affectent profondément leur vie quotidienne et leur équilibre mental.

Un autre étudiant partage une expérience encore plus marquante :

Vous êtes ou étiez : (obligatoire)

VII. Les intérêts économiques avant la protection des droits fondamentaux ?

L’absence de réglementation sur les clauses abusives dans les contrats offre aux entreprises une latitude considérable pour structurer des accords à leur avantage. Cette situation leur permet d’inclure des clauses qui limitent leur responsabilité, imposent des conditions défavorables aux consommateurs ou restreignent les recours possibles en cas de litige.

En l’absence de protections légales, les entreprises peuvent maximiser leurs profits et minimiser les risques juridiques, souvent au détriment des droits des consommateurs. Cette asymétrie contractuelle renforce leur position dominante sur le marché, réduisant la nécessité de négocier des termes plus équitables. Ainsi, sans cadre juridique contraignant, les entreprises bénéficient d’une flexibilité accrue pour imposer des conditions contractuelles qui servent principalement leurs intérêts économiques.

Conclusion : Réformes urgentes

Il est impératif que la SIC revoie ses pratiques et prenne en compte les contraintes des étudiants, notamment pendant la période des examens.

Il est essentiel de mieux gérer les dates de départ, d’améliorer la communication entre les parties prenantes au sein du GIP et avec les étudiants, et de rééquilibrer les contrats pour garantir des clauses justes et équitables (permettre le droit de visite, lever l’interdiction d’hébergement).

Le rôle des associations comme UFC Que Choisir Nouvelle-Calédonie [7] est utile pour dénoncer ce vide juridique et lutter pour des réformes qui favorisent un équilibre dans les relations contractuelles entre étudiants et bailleurs. Ils militent pour des règles plus transparentes et plus justes, qui respectent les droits des consommateurs et des locataires.

Ci-joint l’extrait d’un article de UFC QC Nouvelle Calédonie publié le 12 mars 2019 suivi du RAPPORT MORAL 2019.

Propositions faites par UFC Que Choisir NC en 2019
Extrait du rapport moral 2019 UFC QC NC
Extrait du rapport moral 2019 UFC QC NC

Pour approfondir votre compréhension de la notion de clause abusive, je vous conseille cette vidéo explicative de 6 min :

Sources :

  1. Code de la consommation – France et Nouvelle-Calédonie :
  2. Directive 93/13/CEE de l’Union Européenne :
  3. Principes Directeurs des Nations Unies pour la Protection du Consommateur :
  4. Normes ISO :
  5. Code pénal français – Article 226-4 :
  6. NC La 1ère – Article sur la gestion des logements étudiants :
  7. UFC Que Choisir Nouvelle-Calédonie :
  8. Juridoc.nc – Recherches législatives sur les clauses abusives en Nouvelle-Calédonie :
    • Base de données juridique locale où vous pouvez effectuer des recherches sur les textes législatifs en vigueur en Nouvelle-Calédonie, y compris les adaptations locales du Code de la consommation.
    • Juridoc.nc
  9. Dépliant de la DGCCRF sur le logement étudiant :
    • Exemples de clauses dans les contrats de bail étudiant de la SIC concernant l’hébergement, l’accès au logement et les dates de départ.
    • Economie.gouv.fr
  10. Textes de référence sur les clauses abusives :
  11. Droit d’accès du propriétaire dans le logement du locataire : une intrusion légale ou abusive ?

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